Les émotions sont au cœur de nos vies et nous accompagnent tous les jours. Et ce n’est pas parce que l’on pousse la porte du bureau que l’on enlève une partie de son cerveau, de son cœur.
Bien sûr c’est dans notre domaine de vie personnel que l’on est le plus authentique.
Bien sûr dans le monde professionnel on doit s’adapter à des règles, on a des codes de conduites, des comportements avec une façon de parler, de s’habiller, de se conduire. On entend et utilise des mots différents de ceux de notre monde personnel tels que : productivité, efficacité, efficience, viabilité, création de valeurs, indicateurs de performance…Les relations y sont plus formelles liées à des contraintes structurelles internes et économiques, à une charte déontologique, à l’appartenance à une catégorie, à un rang et à une hiérarchie socio-professionnelle.
Tous les jours nous devons assurer la transition d’un monde à l’autre, basculer du monde personnel dans le monde professionnel. Comment rester soi-même, authentique, tout en s’adaptant d’un monde à l’autre, tel est l’enjeu, telle est la question. Comment faire pour ne pas être en marge, s’exposer à des remarques du collectif professionnel, avoir les comportements requis par l’entreprise ; car nul n’ignore qu’il existe des comportements qui sont tolérés par l’entreprise voire bienvenus et d’autre pas. Tout ce qui est comportement de type « réaction émotionnelle », cela ne se fait pas. Pas question d’afficher sa vulnérabilité et ouvrir son cœur au bureau.
Pour beaucoup, l’émotion est perçue comme une faiblesse, un défaut. En fait l’entreprise prône des modèles de comportements, comportements qui seront stimulés parce qu’ils sont bons pour celle-ci, parce qu’ils œuvrent au succès de l’entreprise (audace, initiative, prise de risque, performance, résistance au stress) les bons manager auront des qualités de leader, d’influenceur, du charisme et seront éloignés de l’empathie. En terme de productivité et d’efficience on prendra le raccourci suivant : la distance émotionnelle permet une forte tolérance au stress, ce qui garantit de bien fonctionner au travail d’être performant et fiable, de ne pas perdre en efficacité et d’atteindre quoiqu’il se passe ses objectifs.
Assez redoutable non et vision des choses plutôt froide, réductrice, de l’ordre d’une machine à exécuter en marche. Bonne nouvelle de récents acquis de la neurologie et des neurosciences nous permettent de ne pas en rester là. Il ne s’agit pas d’apprendre à vivre sans émotions au travail, de tuer les émotions des employés, de se couper de ses émotions mais au contraire d’en faire une force, une énergie. Comment accepter ses émotions, comment les utiliser au mieux – en cela une idée-force est de séparer les sentiments des comportements, comment en faire quelque chose en faisant appel à son intelligence ? C’est le pari de l’intelligence émotionnelle.
Comme le soulignait Antonio R.Damasio dans son livre l’erreur de Descartes : « même après que la faculté de raisonnement a atteint le stade de sa maturité, à l’issue des années de développement, sa mise en œuvre efficace dépend probablement, dans une large mesure, de la capacité de réagir sur le plan émotionnel. Il ne s’agit pas de nier que les émotions puissent perturber les processus du raisonnement dans certaines circonstances.[…]. Il est donc d’autant plus surprenant – c’est là une découverte –que l’incapacité d’exprimer et ressentir des émotions soit susceptible d’avoir des conséquences tout aussi graves, dans la mesure où elle peut handicaper la mise en œuvre de cette raison qui nous caractérise tout particulièrement en tant qu’êtres humains et nous permet de prendre des décisions en accord avec nos projets personnels, les conventions sociales et les principes moraux. Il ne s’agit pas non plus de dire que, lorsque les émotions interviennent de façon positive, elles décident pour nous ; ni de dire que nous ne sommes pas des êtres rationnels. Je suggère seulement que, que par certains côtés, la capacité d’exprimer et ressentir des émotions est indispensable à la mise en œuvre des comportements rationnels ».
Le cœur a ses raisons que la raison n’ignore pas, fini donc d’opposer les émotions à la raison, et de penser que ces deux concepts ne faisaient pas bon ménage. Les émotions sont aussi essentielles pour décider et précisément lorsque la décision et l’action sont attendues dans des domaines où règne l’incertitude (sur quelle base par ex formuler un jugement moral ou encore comment nous prononcer sur l’avenir d’une relation personnelle, faire des projets pour l’avenir) mais aussi lorsque les conséquences de la décision sont proches (cas où on devra vite se décider car la deadline approche comme par ex une réponse à une opportunité professionnelle).
Pour ce qui est des émotions dans l’entreprise, le monde du travail et les émotions peuvent être parfaitement compatibles, de quoi être totalement surpris ! Ce que l’on ressent au niveau émotionnel peut influencer positivement la façon dont nos compétences cognitives vont s’exprimer.
Des études ont montré que :
1 . « un négociateur réalise de meilleurs deals quand il fait confiance à ses émotions ». Ce type de négociateur qui fonctionne au feeling a tendance à sortir plus gagnants de la négociation que ceux purement rationnels. Il a été aussi prouvé que les émotions influencent la mémorisation : « les évènements émotionnels sont mémorisés avec plus d’intensité et de précisions que les événements neutres » explique Rebecca Todd chercheuse à l’université de Toronto. On peut exploiter cette découverte pour introduire et faciliter une cohésion d’équipe en vivifiant, en favorisant l’intensité des interactions individuelles saines dans une démarche de mobilisation et de travail commun autour d’un projet d’entreprise.
2. De même, bien que réprouvée socialement on a démontré que la colère a un impact positif sur la motivation. Cette émotion qui fait peur par son côté violent, agressif, destructeur donne beaucoup de puissance, de l’énergie, de la persévérance, un élan créateur, de la motivation pour franchir les obstacles, se battre contre les injustices, changer une situation, un état, de la volonté à obtenir quelque chose. On peut l’utiliser facilitateur dans la conduite de changement ; il est bon de se rappeler que quand on veut introduire un changement, une innovation il y aura inévitablement des blocages, de la résistance ; et cette colère si on la canalise, si elle est bien dosée, elle deviendra alors notre allier et pourra nous servir agréablement. Ainsi dans une session de brainstorming les personnes vont générer plus d’idées et surtout plus d’idées originales car ils travaillent dans un contexte hors cadre.
3 . Les émotions créent le lien à l’autre, font de nous des êtres sensibles à notre entourage, à l’autre, participe à la connaissance de soi et acquièrent un rôle dans l’apprentissage par l’action car on apprend de ce que fait l’autre.
4 Elles sont un atout remarquable dans la gestion des conflits, en nous rendant plus humains, plus empathiques, elles nous aident à désamorcer et à sortir du conflit. Nous apprenons à changer de filtre de perception, à changer nos lunettes, à ne pas se considérer comme un faible parce que l’on ne considère plus l’autre comme un ennemi et que l’on renonce à camper sur sa position. Mais parce que celui en face de soi sera vu comme un être humain, que l’on attaque et à qui l’on fait du mal, on pourra changer d’attitude et retrouver par exemple les règles du dialogue et instaurer des jeux relationnels de type « tous gagnants ».
5. Enfin il ressort que les émotions favorisent l’introspection et les comportements moraux. Les moments d’intense émotion sont ressentis ou expérimentées de façon incarnée.
Sur cette base on pourra utiliser les fables, les mythes, les métaphores pour faire passer un message, un conseil qui dit directement ne serait pas forcement entendu ; influencer en toute intégrité.
Dans l’art de la communication par le storytelling c’est ce même principe de connexion à l’autre par les émotions qui est utilisé. On va parler le langage de l’autre, revêtir ses chaussures et la portée de notre communication sera d’autant plus forte, profonde que la compréhension de l’autre est maximum, que notre histoire sera la sienne ; qu’il se retrouvera dans notre histoire L’objectif qui est de créer la relation pour mieux convaincre, séduire est donc atteint.
Pour conclure n’hésitez pas à utiliser les émotions pour qu’il se passe quelque chose entre les gens, entre vous, entre nous. Pour restaurer quelque chose de vrai, d’authentique, quelque chose qui crée de la valeur. Le mot de la fin : placer ou remettre l’humain au cœur de l’entreprise et laisser les émotions à leur juste place au travail. Revisitez le modèle de management et redonnez un nouveau souffle à l’intelligence émotionnelle telles seraient mes préconisations.
Dans son livre « l’intelligence émotionnelle », Danièle Goleman soutenait « la réussite dépend moins du quotient intellectuel que de la capacité à comprendre, maîtriser et cultiver les émotions qui sont en nous ». Pour mieux connaître sa thèse n’hésitez pas à lire ou relire ce best-seller mondial.